LA GUERRE D'ALGÉRIE
La faculté des Lettres de Lille ne s’engage pas officiellement en tant qu’institution dans la question algérienne et l’unanimité n’existe jamais en son sein sur la solution à adopter pour y mettre fin.
La petite faculté très malthusienne se transforme progressivement et accueille à partir du milieu des années cinquante de plus en plus d’étudiants. Ils sont 1429 en 1946-1947, 1714 en 1955-1956 mais 3829 en 1961-1962. Les 38 enseignants de l’année 1947-1948 sont 66 en 1957-1958 et 249 en 1967-1968 (tous postes réunis).
Au sein de cette communauté importante, les opinions et les positionnements sur la question des liens à établir entre la France et l’Algérie sont marqués par la diversité alors qu’il faut aussi tenir compte de la dimension temporelle de la question, les évolutions personnelles pouvant être fortes. Les événements de la Toussaint 1954 ne mobilisent pas ou très peu les universitaires lillois pas plus que les Français d’ailleurs. Les premières actions mobilisatrices concernent surtout les étudiants qui, pour certains d’entre eux, s’opposent aux mesures de rappel du contingent (1955).
Cette « nouvelle guerre des clercs » (J.-F. Sirinelli) finit cependant par toucher le monde universitaire lillois, surtout à partir de 1959. De « guerre lasse », les étudiants et de nombreux enseignants suivent davantage les mots d’ordre de mobilisation contre la poursuite de la guerre. L’Association générale des étudiants lillois (AGEL) joue au niveau local un rôle majeur de dénonciation de cette « sale guerre » et travaille à la promotion de l’idée de négociations nécessaires avec le Front de Libération Nationale (FLN), comme le fait l’UNEF au niveau national. Chez les enseignants, les engagements sont rarement affichés et la plupart demeurent en retrait, ce qui ne les empêchent pas d’avoir leur opinion sur la question mais qu’ils réservent à leur entourage proche.
Quelques figures professorales s’engagent en faveur de l’Algérie française cependant, alors que d’autres militent activement pour la paix nécessaire et pour la défense des droits de l’Homme, dénonçant l’usage de la torture et la menace que la guerre fait peser sur nos institutions démocratiques. (au sein du Comité Maurice Audin par exemple). La résiliation de nouveaux sursis en 1959-1960 (instruction du 11 août 1959) renforce la détermination du monde étudiant qui n’est cependant pas unanime lui non plus.
La manifestation du 27 octobre 1960 marque un tournant. Le meeting salle Roger Salengro rassemble plus de 3000 personnes, surtout des étudiants des diverses facultés, pour réclamer une solution négociée. Si la faculté ne réagit pas collectivement face au 13 mai 1958 et au retour de Charles de Gaulle, elle se mobilise par contre face au putsch des généraux en avril 1961.
Le doyen Pierre Reboul interrompt son cours à la nouvelle du coup de force militaire. Un texte est adopté par les étudiants qui signale que « professeurs et étudiants de propédeutique sont prêts à aider le président de la République à sauvegarder la liberté, la patrie et le bon sens » (La Voix du Nord du 25 avril 1960). Dans l’après-midi du 25 avril, professeurs et étudiants se rassemblent dans la cour de la faculté et dans l’un des amphithéâtre pour apporter leur soutien à « celui qui a la responsabilité du pays ». |
Face au développement des attentats de l’OAS, les universitaires poursuivent ensuite leur mobilisation dans plusieurs grèves et manifestations (16 novembre, 6 décembre 1961). Dès lors, le monde universitaire lillois est identifié à un pôle fort dans le combat contre la poursuite de la Guerre.
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Mais jusqu’au bout l’unanimité n’existe pas à la faculté et les positionnements individuels sont polymorphes sur la question. Toute une génération d’étudiants et de jeunes enseignants a cependant réalisée son initiation au Politique et à l’action militante, au cours de cette « Guerre sans nom ».